Depuis le début de l’année, les audiences se succèdent sans discontinuer dans la région de Vinnitsa, au centre de l’Ukraine. « Je ne fais plus que ça », soupire Igor Saletsky, le chef du département des nationalités et religions de l’administration locale.
Cinq à six fois par semaine, il quitte son bureau pour l’une des cours de justice de la ville, pour défendre, dans près d’une vingtaine d’affaires différentes, sa décision d’enregistrer une nouvelle communauté religieuse. À la clé, le contrôle d’une paroisse et de son église, un arbitrage à première vue dérisoire mais pourtant âprement disputé entre les deux principales Églises orthodoxes du pays.
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La création en décembre 2018 d’une Église orthodoxe reconnue par le Patriarcat de Constantinople et indépendante de la Russie a marqué le début d’une lutte opiniâtre. Dès le mois suivant, plusieurs dizaines de paroisses demandent à passer à la nouvelle Église : amorce d’une vague de transferts pour les uns ou d’un violent conflit pour les autres.
Une guerre de position
Ni l’un ni l’autre ne se vérifient. La nouvelle Église orthodoxe d’Ukraine indépendante recense en 2019 près de 500 transferts de paroisses – chiffre contesté par le Patriarcat de Moscou, et qui reste limité au regard des 12 000 que son Église contrôlait au début de l’année –. Surtout que ces transferts ont presque cessé depuis. Une situation que la journaliste ukrainienne Sofia Kochmar-Tymoshenko, spécialisée dans les questions religieuses, attribue notamment à l’élection en 2019 du nouveau président ukrainien Volodymyr Zelensky. Ce dernier est peu désireux de s’impliquer dans ce dossier épineux.
Le conflit prend alors des allures de guerre de position et se déplace sur le terrain judiciaire. Près de 150 procédures ont ainsi été lancées en 2019 dans le pays pour contester ce que le Patriarcat de Moscou considère comme des transferts illégaux.
La tranquille région de Vinnitsa est devenue l’un des épicentres de cette lutte larvée. La défection du puissant évêque local, le métropolite Simeon vers la nouvelle Église, a fait office de catalyseur. Elle revendique rapidement plus de 80 transferts dans la région, deuxième chiffre le plus élevé du pays.
Un pays où le passé n’est jamais loin
« À peine 7 % ou 8 % d’entre eux sont volontaires », affirme Roman Makar, secrétaire du diocèse de Vinnitsa du Patriarcat de Moscou. En 2019, ce dernier a musclé son département juridique, passé d’une personne à six juristes chargés de contester les transferts de paroisse. Ils vont aussi tenter d’obtenir le renvoi d’Igor Saletsky, fonctionnaire local chargé d’enregistrer les nouvelles communautés que Roman Makar n’hésite pas, dans un pays où le passé n’est jamais loin, à assimiler aux agents du KGB chargés, sous l’URSS, de contresigner les ordinations de prêtres.
La réaction est bien différente du côté de la nouvelle Église. « Avec ces procédures, l’Église russe fait tout pour ralentir un processus légal, s’insurge l’archimandrite Sophrony, porte-parole du diocèse de Vinnitsa. Nous essayons de nous défendre, mais nous n’avons pas toujours les ressources. »
La bataille juridique tourne autour d’une question : qu’est ce qu’une communauté religieuse ? C’est, en effet, celle-ci qui doit, d’après une loi votée début 2019, décider du changement éventuel d’allégeance d’une paroisse. Si le Patriarcat de Moscou considère que seuls les membres les plus actifs d’une paroisse doivent pouvoir décider, les autorités ukrainiennes et la nouvelle Église ont adopté une définition plus large.
Le casse-tête de la communauté religieuse
« Certains ne vont peut-être pas à l’église tous les dimanches, reconnaît l’archimandrite Sophrony. Cela ne veut pas dire pour autant qu’ils ne participent pas à la vie religieuse. » Derrière, une question générationnelle se dessine aussi : les fidèles les plus assidus sont bien souvent des retraités, plus susceptibles de soutenir le Patriarcat de Moscou.
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Sur le terrain, la situation varie fortement d’un village à l’autre. À Sosonka, paroisse à une heure de la capitale régionale, l’église locale est toujours fermement contrôlée par Moscou, malgré la décision d’une assemblée locale de passer à la nouvelle Église en 2019. « C’est nous qui avons construit cette église, s’exclame un groupe de fidèles en sortant du service du dimanche. Il n’y a pas eu de transfert et il n’y en aura pas ! »
Un peu plus loin, à Louka-Melechkivska, une superbe église en bois consacrée en 1896 est toujours entre les mains du Patriarcat de Moscou. Mais les opposants ont entamé le mois dernier la construction d’une église « temporaire », après plusieurs mois passés à prier dans la rue, en attendant une décision du tribunal.
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Une fracture au sein du monde orthodoxe
En octobre 2018, le Patriarcat de Constantinople prend la décision de reconnaître une Église orthodoxe indépendante en Ukraine. Un choix qui suscite la colère du Patriarcat de Moscou qui a rompu ses liens avec Constantinople, créant au sein du monde orthodoxe une situation de schisme perdure jusqu’à aujourd’hui.
C’est le 5 janvier 2019 que le patriarche de Constantinople a officiellement confirmé la création de la nouvelle Église d’Ukraine autocéphale, c’est-à-dire qui a reçu la reconnaissance canonique.
Cette décision historique ne fait pas l’unanimité dans le monde orthodoxe puisque la nouvelle Église ukrainienne n’a été, à ce jour, reconnue officiellement que par l’Église de Grèce et le Patriarcat orthodoxe grec d’Alexandrie.
August 14, 2020 at 12:21PM
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En Ukraine, le conflit religieux prend un tour judiciaire - Journal La Croix
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