Dans le nez, mais aussi… dans le fond des toilettes. Rapidement après le début de l’épidémie de Covid-19, des chercheurs montrent que le Sars-Cov-2 peut se répliquer dans le tube digestif. Ce qui sous-entend qu’il est aussi présent dans les selles, et donc dans les circuits d’eaux usées. « 30 à 50 % des personnes contaminées excrètent le virus dans leurs selles, parfois jusqu’à 4 à 6 semaines après l’infection », nous explique Vincent Maréchal, professeur en virologie. Pas de raison de s’inquiéter pour autant d’une possible transmission par ce biais : dans les selles, le coronavirus perd son potentiel infectieux, d’autant plus que ces eaux font l’objet de traitements.
Mais pourquoi ne pas se servir de cette propriété pour suivre la dynamique de l’épidémie ? C’est ce que fait le réseau Obépine, cofondé par Vincent Maréchal en avril 2020. Deux fois par semaine, 160 stations d’épuration réparties sur le territoire sont « testées » : des échantillons d'eau sont prélevés et soumis à une analyse PCR. Et la méthode a fait ses preuves. « Depuis le début de l’épidémie, on a démontré qu’il y a bien une corrélation entre la détection de la charge virale dans les eaux usées et le taux de contamination », s’enthousiasme Vincent Maréchal.
Deux autres principaux indicateurs permettent un suivi de l'épidémie : le nombre de personnes testées positives et les données hospitalières, notamment les admissions et décès. Or, les courbes obtenues grâce à ces données coïncident avec celles réalisées grâce aux eaux usées. Les spécialistes ont ainsi mis en place un indicateur oscillant de 0 à 150. « En dessous de 50, le virus circule peu, entre 50 et 100 cela devient important et au-delà, c’est élevé », précise le biologiste. Signe de leur pertinence, depuis mi-avril, les données obtenues par le réseau Obépine sont disponibles en accès libre sur le site du gouvernement.
Détecter les porteurs asymptomatiques
Mais alors, quel intérêt d'un indicateur supplémentaire si celui-ci est cohérent avec les informations apportées par les tests et données hospitalières ? « Lorsque le niveau de circulation est haut, cela nous dit simplement que le virus circule, et a priori, on est au courant », ironise Jean-Paul Stahl, professeur de maladies infectieuses et tropicales au CHU de Grenoble. En ce moment, les eaux usées permettent de visualiser une timide baisse des contaminations, semblable à celle du nombre de tests positifs.
Les coûts aussi sont incomparables. Vincent Maréchal avance 60 000 euros par semaine pour analyser 150 stations d’épuration, bien en deçà des millions d’euros nécessaires pour réaliser les quantités de tests PCR quotidiens. Autre avantage : les données sont territorialisées, puisque chaque station d’épuration couvre une zone donnée. « On peut remonter le fil via les collecteurs, et savoir de quel quartier viennent les fragments du virus. Si on veut plus de précisions, on peut ensuite dépister précisément les personnes présentes dans ce lieu », explique le virologue. Enfin, l’analyse par PCR rend possible la détection de certains variants dans des lieux précis via les eaux usées.
Indicateur précoce
Plus encore, elles permettent de visualiser une circulation majoritairement asymptomatique parfois difficile à déceler avec les tests. Après la fin du premier confinement, en mai 2020, la circulation du virus est très basse. À l’arrivée de l’été, les contaminations reprennent peu à peu, en grande majorité dans les populations jeunes. Celles-ci sont plus souvent asymptomatiques : les signes cliniques de la maladie ne les y poussant pas forcément, elles se font moins dépister que leurs aînés, nous explique Vincent Maréchal. À ce moment-là, la très lente reprise épidémique ne se fait donc pas ressentir directement sur le nombre de tests positifs. Idem pour les chiffres hospitaliers : les personnes contaminées ne développant pas de symptômes nécessitant une hospitalisation, le nombre d'admissions, voire de décès, ne permet pas non plus un tableau exhaustif de la circulation du virus.
« Mais les jeunes qui ne se font pas tester doivent bien aller aux toilettes ! », plaisante Vincent Maréchal : on retrouve aussi, pour ceux qui sont porteurs du virus, des fragments de son matériel génétique dans leurs selles. Dès le mois de juin, la charge virale dans les réseaux d’eaux usées repart ainsi �� la hausse. L’équipe d’Obépine alerte, sans succès. La suite de l’histoire est connue : les contaminations ne cessent d’augmenter jusqu’à la fin du mois d’octobre 2020, poussant le Premier ministre Jean Castex à instaurer alors un couvre-feu.
« Nous avions quelques semaines d’avance, c'était un indicateur précoce », soutient Vincent Maréchal. La détection dans les eaux usées permet d'éviter un important biais lié aux tests : ceux-ci sont soumis à la bonne volonté des citoyens. Si le nombre de personnes se faisant tester diminue, on peut penser que le nombre de personnes détectées positives baisse aussi, alors que le nombre de porteurs est peut-être resté le même. Les eaux usées se révèlent alors utiles pour visualiser une reprise épidémique, lorsque le virus circule en priorité chez les personnes asymptomatiques, souvent jeunes, palliant les angles morts des données hospitalières et des tests PCR.
Des biais potentiels
Sauf que… « tout est biaisé, même l'analyse des eaux usées », rappelle l'infectiologue Jean-Paul Stahl. La détection du virus peut y être faussée, par exemple par la pluviométrie. Si les précipitations sont importantes, elles diluent le virus : la quantité par litre diminue alors. La densité de population ou encore le débit jouent également. « Ces indications peuvent être intéressantes, mais il faut comparer des choses comparables. Par exemple, le niveau d’eau de la Seine en mars et en juillet, a priori, ce n’est pas la même », constate Jean-Paul Stahl. C’est pour limiter l’effet de ces variables que le réseau Obépine utilise un indicateur, reposant sur un modèle mathématique.
Reste que pour l'infectiologue, cela ne remplace pas la fiabilité des tests. « Ça reste beaucoup moins précis que les prélèvements sur les individus », explique-t-il. Ceux-ci permettent par exemple de connaître les tranches d’âges des personnes infectées. Les données hospitalières apportent quant à elles des informations sur les potentielles comorbidités des personnes infectées. Des précisions absentes des analyses des eaux usées.
Suivre l’épidémie uniquement avec les eaux usées paraît donc impossible. Mais il s’agit plutôt d'un indicateur complémentaire aux autres. « Il ne faut pas opposer ces méthodes », considère Jean-Paul Stahl. Alors que les tests donnent une estimation du nombre de personnes positives, les données hospitalières s’intéressent à celles développant des formes graves, et les eaux usées dessinent des grandes tendances de la circulation. « On voit une inflexion, si les contaminations baissent, sont stationnaires, ou augmentent, soutient Vincent Maréchal. Actuellement, on couvre environ 30 % du territoire avec cette méthode : on veut aller au-delà », poursuit le cofondateur du réseau Obépine. À terme, l’équipe espère pouvoir passer de 160 à 400 stations d’épuration testées, afin d’avoir des données sur l’ensemble du territoire.
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